Notre nouveau baccalauréat est-il international ou binational?



ON l’appelle Baccalauréat international option française (BIOF). Il est le fruit d’un partenariat avec la France, incluant
Après une carrière de vingt ans en tant qu’opérateur privé de l’Education scolaire et universitaire, et président fondateur d’associations dans l’enseignement et le Conseil en formation, Abderrahmane Lahlou a fondé ABWAB Consultants, spécialisé dans l’Education et la Formation.
Il est expert auprès du Groupe Banque Mondiale pour le programme e4e au Maroc, et expert agréé auprès de la BID. Il réalise également des études pour le compte de ministères et d’organismes privés nationaux et internationaux dans les trois domaines de la formation universitaire, professionnelle et scolaire. Il est conférencier international en management, économie et éducation, et professeur visiteur dans des universités françaises
l’adoption du modèle français et la formation des enseignants. Il est implanté à titre expérimental dans six lycées au Maroc, et promis à une extension dès la rentrée prochaine à plusieurs villes du Royaume.
Présenté comme "filière d’excellence", il admettra sur dossier les meilleurs collégiens, de sorte que ces futurs bacheliers francophones soient les meilleurs. Il consiste en l’enseignement des matières scientifiques, puis ultérieurement de certaines matières sociales en langue française, ainsi qu’en l’augmentation du volume horaire du français en tant que langue, mais il débouche sur le même diplôme national marocain. Le BIOF donnera la dispense du test TCF, mais on ne sait pas si, à l’avenir, les autres filières donneront accès à l’inscription en France et dans les filières francophones au Maroc.
De quoi le bachelier a-t-il besoin?
Discrètement introduit par le ministre précédent de l’Education nationale sous forme d’enrichissement des filières du bac, il a été promu par l’actuel gouvernement dans le cadre de sections d’excellence, autrefois taxées de discriminatoires par le ministre précédent. Avant même de faire couler l’encre des bacheliers sur leurs copies, il a fait couler celle des journalistes, parlementaires et éducateurs, en majorité critiques à son égard. La raison est-elle un déficit de communication autour du projet, une défaillance de concertation préalable, une absence d’intégration à une vision globale ou une erreur stratégique de la cahoteuse réforme de notre système éducatif? Tout a été plaidé dans cette affaire. Mais la critique étant facile et l’art difficile, pas ou peu d’alternatives ont été proposées par les composantes de la société civile ou par la classe politique.
Toute démarche réussie de remédiation se base sur un diagnostic, et toute recherche d’alternative part du besoin. De quoi souffre alors notre baccalauréat national vieillissant? Il y a tout d’abord la vétusté du curricula, à comprendre comme l’ensemble des contenus, de leurs modes d’évaluation, de leur distribution temporelle dans des emplois du temps et de leurs modes d’enseignement. Le premier constat du diagnostic est que notre baccalauréat national actuel est historiquement d’architecture française, avec sa distribution des matières, qui reste classique par sa dichotomie (chaque matière est enseignée et perçue isolément) et normative par le menu (et pas la carte) offert aux élèves. Le mimétisme réside également dans l’existence de coefficients de pondération (qui deviennent vite  discriminatoires), la méthode de notation et la formation des enseignants, davantage axée sur les savoirs que sur les processus d’apprentissage. A cette carte génétique se sont greffées quelques déformations marocaines, comme (i) la sous-valorisation déprimante des filières économiques, littéraires et technologiques et la survalorisation inhibitrice des filières scientifiques, (ii) la didactique des disciplines scientifiques consistant à faire et refaire jusqu’à apprendre ce qu’il y a à faire, et pas comprendre comment le faire, et (iii) la dévalorisation du niveau du baccalauréat par l’inflation des notes attribuées, dans le public comme dans le privé. Si tel est le diagnostic, quel est aujourd’hui le besoin des élèves en matière d’apprentissage, celui des parents en matière de confort sur l’avenir de leurs enfants et tous leurs enfants, et celui de la société avec ses employeurs et l’ensemble de sa composition culturelle et sociale? En réponse, je peux m’avancer pour plaider 1) un bon développement personnel de l’élève bachelier sur le plan de son équilibre émotionnel, sa responsabilité et son assiduité à développer lui-même ses savoirs. 2) la capacité à assumer des choix de filières et de carrières variés et iso-valorisants. C’est ainsi que nous produirons des philosophes inspirés, des économistes impliqués, des journalistes érudits, des artistes cultivés, des techniciens fiers et instruits, des agronomes entreprenants et des jardiniers talentueux. 3) l’ouverture de l’enseignement des matières scientifiques et sociales sur des langues internationales adaptées aux choix des élèves. Ainsi, les lycéens du Nord opteront pour des enseignements en langue espagnole, ceux qui ciblent des universités anglophones choisiront l’anglais, et d’autres le français. 4) la maîtrise fière et parfaite de la langue arabe, comme on le demande aux bacheliers français, allemands ou chiliens pour leurs propres langues respectives. C’est ce qui facilitera à ces futurs cadres, pères et mères de famille ou responsables politiques l’appartenance intellectuelle et émotionnelle à leur patrie.
Le choix de modèle de baccalauréat
En  s’arrimant au modèle français, critiqué par les éducateurs eux-mêmes et en mal de compétitivité internationale, au regard des derniers résultats du test PISA 2013, qui a fait chuter la France au 25e rang, faisons-nous le bon choix partenarial? Il est entendu que la France est notre premier pays partenaire dans le commerce et l’investissement. Il est un fait que la France accueille 34% de notre communauté marocaine expatriée, sans l’existence d’une seule école marocaine sur l’Hexagone, d’ailleurs, malgré l’existence des accords bilatéraux. Il est vrai que les relations diplomatiques sont historiquement fortes, et profitables au Maroc. Il est visible que beaucoup d’efforts sont déployés pour le maintien de la place culturelle et linguistique de la France dans notre pays. Et nous comprenons bien, en somme, que tout cela fait un tout avec les décisions économiques et socioculturelles que le gouvernement est appelé à prendre.
Mais soyons rationnels, le simple passage de l’enseignement de quelques matières au français, dans le cadre des mêmes conditions, saura-t-il répondre aux quatre questions précédentes de l’épanouissement personnel, du choix de filières, de l’équilibre des langues internationales et du renforcement de l’arrimage culturel? Laissez-moi répondre non. Si l’ouverture de notre système éducatif à une action enrichissante comme celle-ci, censée faciliter la transition linguistique entre le lycée et les filières universitaires francisantes, notamment les classes préparatoires françaises, est à saluer, il faudra aller au-delà, en déployant un effort structuré de diversification des expériences innovantes, dans le cadre d’une stratégie globale et cohérente.
L’organisation du Baccalauréat international
Dans cette perspective, il me semble qu’une autre expérience, largement adoptée dans le monde est en passe de devenir un choix d’ouverture de qualité exceptionnelle pour nos pays émergents, autant que pour les pays développés. C’est celui du Baccalauréat international (BI), créé en 1968 à Genève, implanté aujourd’hui dans 147 pays, dont le Maroc, et qui compte 72.000 candidats bacheliers chaque année, avec un taux de réussite de plus de 80%.
Le programme étant étendu en amont aux cycles  primaires et secondaires, et à une filière de formation professionnelle, ce sont plus d’un million d’élèves qui sont inscrits dans les établissements affiliés au BI.
Conçu et développé comme un continuum d’éducation véritablement internationale, l’ensemble des programmes se distingue par trois caractéristiques pertinentes pour notre contexte: 1) Il est offert dans quatre langues internationales, l’anglais, le français, l’espagnol et l’arabe.  2) Il se greffe sur les matières des programmes nationaux de chaque école avec une adaptation méthodologique et didactique. 3) Il offre des parcours à la carte, mixant un nombre limité et raisonnable de  matières disciplinaires (6 au baccalauréat), choisies parmi les principaux domaines de connaissances (mathématiques, sciences, littérature, humanités, arts) et des matières transversales de tronc commun, qui sont: a) la théorie de la connaissance, qui vise à unifier les disciplines scolaires et incite les élèves, par la réflexion critique, à
Fruit d’un partenariat avec la France, incluant l’adoption du modèle français et la formation des enseignants, le Baccalauréat international option française est implanté à titre expérimental dans six lycées au Maroc, et promis à une extension dès la rentrée prochaine à plusieurs villes du Royaume. Présenté comme «filière d’excellence», il admettra sur dossier les meilleurs collégiens, de sorte que ces futurs bacheliers francophones soient les meilleurs
explorer la nature de la connaissance et à en approfondir la compréhension en tant que construction humaine, b) la réalisation d’un mémoire encadré, qui se révèle être très formateur sur le plan de l’autonomie, de la création intellectuelle et de l’investigation,  c) l’accomplissement d’une action de créativité et/ou de service communautaire en faveur des populations proches.
Reconnaissance du BI par le Maroc
L’un des atouts du BI est son adaptation permanente, et sa révision structurelle fréquente par une équipe pluridisciplinaire de pédagogues du monde entier, rattachés au réseau des écoles membres. Cette performance, qui lui garantit une adéquation permanente avec les besoins évolutifs des jeunes, aucun gouvernement d’un pays, fut-il développé ne peut la réussir sous le poids des inerties et des divergences de vision et querelles internes. Ainsi, en n’appartenant à aucun pays, en n’arborant aucun drapeau, il appartient au monde entier. En 2006, Tony Blair introduisait le programme du BI dans une quarantaine d’écoles publiques anglaises; elles sont aujourd’hui au nombre de 146. En 2014, le ministère japonais de l’Education, de la Culture et Sports a introduit un programme BI bilingue (japonais-anglais) dans ses écoles, que l’Organisation a agréé, pour tenir compte du déficit d’effectifs d’enseignants anglophones. Plus proches de nous, les autorités de Jordanie, d’Egypte, des Emirats, de Turquie et celles de dizaines d’autres pays n’ont pas attendu cette date pour reconnaître le BI.
Ayant expérimenté ce programme dans les écoles que je dirigeais, et en tant que père d’élèves qui en ont bénéficié, je peux attester que ce programme jouit de la reconnaissance et du respect des universités les plus prestigieuses dans le monde, y compris les universités et grandes écoles françaises, qui l’incluent désormais dans leurs sites de préinscription. L’effort reste à faire par les autorités marocaines pour le reconnaître comme équivalent au baccalauréat national, afin qu’il donne accès aux universités marocaines, comme il donne accès aujourd’hui à Harvard, au London College ou aux INSA de France! En 2008, le président délégué du Conseil supérieur de l’enseignement, que j’avais intéressé au projet depuis longtemps, avait dépêché une mission au siège de l’Organisation du BI à Genève, qui avait conclu à la compatibilité de ce programme avec les filières marocaines, moyennant certaines adaptations. Un rapport circonstancié avait alors été produit par le CSE, mais auquel l’exécutif n’avait donné aucune suite. L’ère de l’ouverture à l’international serait-elle arrivée maintenant?
Les pommes ou les idées?
LA globalisation en matière de culture et d’éducation est souvent décriée pour son impact sur l’identité nationale. Mais un distinguo est à faire entre l’éducation internationale et l’aliénation à des idées et concepts étrangers. L’éducation internationale n’est pas le dévoiement de nos valeurs éducatives ni la dévalorisation du système éducatif national, par effet d’éviction ou de dénigrement, comme il se produit actuellement avec l’expérience des programmes d’enseignement étrangers. Elle doit être perçue et mise en œuvre comme une ouverture des élèves et du corps enseignant, par des méthodes productives et des programmes enrichis, non une mutation transgénique des objectifs pédagogiques nationaux vers de nouveaux paradigmes consacrant l’effacement des spécificités culturelles.
L’ouverture interculturelle vise à développer chez les élèves des attitudes et compétences au fur et à mesure qu’ils prennent conscience de leur culture et de celle des autres. C’est en étant armé de sa propre identité culturelle que l’élève affronte la diversité de la globalisation. Le point fort du BI est de considérer que si vous venez au concert des nations sans votre propre culture, vous n’aurez rien à y apporter. «Si je te donne une pomme et que tu me donnes une pomme, nous aurons chacun une pomme. Si tu me donnes une idée et que je te donne une idée, nous aurons chacun deux idées».
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